Les clauses déséquilibrantes à l’épreuve du droit positif

Cabinet MATHIEU-DABOT et Associés
Dans le quotidien du justiciable, ce dernier est amené à conclure une multitude de contrats.

Les personnes physiques comme morales revêtent différentes qualités selon les cas comme consommateur, professionnel, non-professionnel, partenaire commercial ou simplement cocontractant. Une même personne peut donc être soumise à différents régimes juridiques eu égard au type de contrat ou à la qualité de son cocontractant. Cela influence drastiquement la stratégie à élaborer pour défendre au mieux ses intérêts tant lors de la rédaction du contrat que lors d’un éventuel contentieux.

Le contrat est « un accord de volonté » (article 1101 du Code civil), sa rédaction est libre par principe. Le premier alinéa de l’article 1102 dispose que « chacun est libre (…) de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi ». Plusieurs limites viennent réduire cette liberté offerte aux justiciables. Le législateur, notamment sous l’impulsion de l’Union Européenne, a créé certains correctifs pour protéger les parties qui ne peuvent librement négocier le contenu de leurs contrats.

Une multitude de difficultés peuvent se cristalliser lorsqu’il existe un « rapport de force » entre les parties. Il est crucial pour les rédacteurs d’actes d’être méticuleux dans leurs compositions afin de ne pas fragiliser le contrat ; il existe une réelle difficulté dans l’appréhension des problématiques qui pourraient découler de la rédaction du contrat. La tentation est parfois forte de garantir les intérêts de l’une des parties au détriment des autres par le biais de diverses clauses. Des mécanismes légaux permettent de pallier différentes situations contractuelles lorsque la stipulation nuit à l’équilibre du contrat.

I. Les clauses déséquilibrantes et le droit de la consommation

La combinaison des articles L.212-1 et L.212-2 du Code de la consommation limite dans un premier temps l’application de la matière aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs ou non-professionnels.

Le consommateur est défini par l’article liminaire du même code comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ». La qualité de non-professionnel regroupe « toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ».

La clause doit avoir pour conséquence de faire naître un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Ce caractère abusif ne peut pas ressortir des clauses qui prévoient la définition de l’objet principal du contrat et l’adéquation du prix ou de la rémunération si celles-ci sont rédigées de manière claire et compréhensible. Dit autrement, le droit consumériste sanctionne notamment le déséquilibre significatif causé par des clauses accessoires.

REMARQUE : ce déséquilibre peur ressortir au moment de la conclusion du contrat comme lors de toutes les circonstances qui pourraient entourer sa conclusion. Il peut également découler d’un autre contrat lorsque sa conclusion ou son exécution est intimement liée à celui qui contient la clause litigieuse. En d’autres termes, le déséquilibre peut s’apprécier dans le cas d’une dépendance juridique entre deux contrats.

Les articles R.212-1 et R.212-2 facilitent l’appréhension de l’avantage excessif dont bénéficierait un professionnel au détriment de l’équilibre du contrat.

L’article R.212-1 dresse une liste de douze clauses présumées abusives de manière irréfragable appelées les « clauses noires ». En d’autres termes, si la clause litigieuse est visée par ce texte, celle-ci sera déclarée abusive sans qu’aucune argumentation ne soit nécessaire.

L’article R.212-2 prévoit une liste de dix clauses simplement présumées abusives appelées les « clauses grises ». Dans ce cas, l’intérêt est de renverser la charge de la démonstration. Il appartiendra au professionnel de justifier que la clause ne porte pas atteinte à l’économie du contrat.

REMARQUE : il est toujours possible d’avancer la qualification de clause abusive en dehors de ces listes. Il appartiendra alors à la partie qui souffre du déséquilibre significatif de le prouver devant le juge.

Au-delà de la saisine des associations de consommateurs, l’action individuelle du consommateur ou du non professionnel permet de sanctionner la clause abusive. Cette dernière sera alors réputée non-écrite. Le contrat continuera son application dans toutes les autres dispositions à l’unique condition qu’il puisse subsister sans la clause réputée non-écrite. 

L’article L.241-1 du Code de la consommation prévoit que le juge peut d’office réputer non écrite une clause à l’occasion d’un litige.

L'Actualité

Troisième chambre civile, 11 mai 2022, Pourvoi n° 21-15.420 : De manière méthodique la Cour de cassation rappelle que « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». La troisième chambre civile précise ensuite que « la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire ».

Troisième chambre civile, 19 janvier 2022, Pourvoi n° 21-11.095 : Comme le précisait déjà la Troisième chambre civile le 19 janvier 2022, il appartient au juge d’apprécier d’office la régularité d’une telle clause.  

Première chambre civile, 30 mars 2022, Pourvoi n° 19-17.996 : Dans une décision importante, la Cour de cassation précise que « la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l’article L. 132-1 (actuellement L.212-1) précité n’est pas soumise à la prescription quinquennale».

La première chambre civile reprend donc la portée de sa décision rendue le 13 mars 2019 (Première chambre civile, n°17-23.169) qui précise que « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s’analysait pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’était pas soumise à la prescription quinquennale ».

La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt le 10 juin 2021 (aff. C-776/19) à la suite d’une question préjudicielle. Afin d’uniformiser le droit interne, la Cour de Justice affirme que « concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (…) doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur :

–   aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription ;

–   aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, (…) ».

Première chambre civile, 9 mars 2022, Pourvoi n° 21-10.487 : La Cour décide qu’au regard de la finalité professionnelle d’un contrat, la partie ne peut pas être qualifiée de consommatrice et ne peut donc pas bénéficier du régime de l’article 212-1 du Code de la consommation.

Chambre commerciale, 4 novembre 2021, Pourvoi n° 20-11.099 : La Cour de cassation qu’une commune, « qui est réputée agir pour régler les affaires de sa compétence », ne peut pas être qualifiée de personne non-professionnelle et « ne peut donc se prévaloir du caractère abusif d’une clause d’un contrat pour demander que cette clause soit réputée non écrite ».

II. Les clauses déséquilibrantes et le droit commercial

Le Code de commerce prévoit également une protection lorsque le contrat est conclu avec un partenaire commercial. Il est nécessaire dans cette matière que les parties au contrat entretiennent des relations stables et destinées à développer leurs activités respectives.

Le contrat doit avoir été conclu avec un « producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ». Plus précisément l’article vise « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services ».

REMARQUE : l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 a élargi cette notion. Le déséquilibre significatif est désormais caractérisé lorsque l’auteur soumet ou tente de soumettre « l’autre partie » à des obligations qui nuisent à l’équilibre du contrat.

Le déséquilibre significatif prévu par l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce vise donc principalement les relations au sein du secteur de la grande distribution.

En droit commercial, le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à une ou plusieurs obligations contractuelles créant un déséquilibre significatif entre les parties au contrat est sanctionné. La tentative de soumission est donc sanctionnée au même titre que la soumission elle-même. L’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce relevant du droit des pratiques restrictives de concurrence, ce type de clauses est interdit indépendamment de l’effet répercuté sur le marché.

En outre, à la différence du droit consumériste, le Code de commerce ne dresse pas de listes de clauses destinées à établir des présomptions de déséquilibre. Le rôle du juge est donc essentiel dans cette matière car il lui appartient de se prononcer et de contrôler l’économie du contrat. Cette appréciation s’opère sur l’ensemble des droits et obligations des parties et ne peut être effectuée clause par clause. L’économie ou l’équilibre du contrat doit donc être analysée globalement.

REMARQUE : contrairement au droit de la consommation, l’article L.442-1, I, 2° ne limite pas son application. Le déséquilibre peut s’apprécier eu égard aux obligations principales des parties cocontractantes.

Dans le cadre d’une action individuelle, deux sanctions peuvent être demandées par la partie au contrat qui stipule une ou plusieurs clauses déséquilibrantes.

D’une part, la victime peut obtenir la réparation de son préjudice en actionnant la responsabilité de l’auteur du déséquilibre significatif par l’octroi de dommages et intérêts.

D’autre part, le deuxième alinéa de l’article L.442-4, I du Code de commerce distingue deux hypothèses. Toutes les personnes qui justifient d’un intérêt peuvent demander d’ordonner la cessation des pratiques. Cependant, seule la partie victime de telles pratiques peut faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites. Il en résulte directement que la victime pourra réclamer la restitution des avantages indus.

L'Actualité

Commission d’Examen des Pratiques Commerciales, Avis n°22-1 du 1er avril 2022 : Dès lors qu’une apposition recommandée par les pouvoirs publics sur les produits n’est pas une obligation légale, le fait pour un fabricant qui n’est pas inscrit dans cette démarche de l’imposer à un fournisseur qui n’a pas souscrit aux déclarations nécessaires constitue une pratique susceptible d’être appréhendée sous l’angle des pratiques restrictives de concurrence. Il en résulte que « les pratiques de déréférencement ou de menaces de déréférencement abusives sont, depuis l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, appréhendées sous l’angle des dispositions visées à l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce ».

Commission d’Examen des Pratiques Commerciales, Avis n°22-2 du 1er avril 2022 : Le même jour, la Commission rend un second avis dans lequel elle précise que « la clause qui permet au client d’un éditeur de logiciel de résilier le contrat lorsqu’il refuse la nouvelle proposition tarifaire de ce dernier, laquelle fait suite à un processus de comparaison des prix ayant constaté une différence de plus de 5 % entre le prix du contrat et le prix du marché, est constitutive d’un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce sous réserve qu’elle n’ait pas fait l’objet d’une négociation effective et que son effet pour l’éditeur de logiciel ne soit pas compensé par d’autres clauses plus favorables. »

Chambre commerciale, 11 mai 2022, Pourvoi n° 19-22.242 : Les juges du fonds ne peuvent pas se fonder « uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes » pour estimer la réalité d’une soumission des fournisseurs aux clauses contractuelles et d’en conclure la caractérisation d’une pratique restrictive au sens de l’article L.442-6, I, 2° ancien (actuellement L.442-1, I, 2°) du Code de commerce.

Chambre commerciale, 8 juillet 2020, Pourvoi n° 17-31.536 : La Cour de cassation décide que les clauses « dite de la dernière chambre disponible », qui oblige l’hôtelier qui dispose de chambres encore disponibles à permettre les réservations par le canal du groupe de la société partenaire, ne constituent pas un déséquilibre significatif.

Enfin, pour illustrer le caractère les clauses pouvant créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties :

Chambre commerciale, 11 mai 2017, Pourvoi n° 14-29.717 : Une clause du contrat constitutif d’un groupement d’intérêt économique ou une clause du règlement intérieur de ce groupement ne peut pas prévoir les modalités de retrait d’un membre.

Chambre commerciale, 12 avril 2016, Pourvoi n° 13-27.712 : Le déséquilibre significatif prévu par l’article L.442-1, I, 2° est exclu dès lors que la faculté litigieuse est reconnue à la totalité des parties au contrat.

III. Les clauses déséquilibrantes et le droit commun

A. L’OBLIGATION ESSENTIELLE DU CONTRAT

Les termes de l’article 1170 du Code civil sont une codification opérée par le législateur des portées des décisions de la Cour de cassation nommées Chronopost (Com., 22 octobre 1996, n° 93-18.632), Faurecia I (Com., 13 février 2007, n° 05-17.407) et Faurecia II (Com., 29 juin 2010, n°09-11.841).

Le mécanisme requière deux conditions pour être actionné. La clause doit porter sur une obligation essentielle du contrat et en vider sa substance.

Les obligations essentielles sont propres à chaque contrat et doivent être étudiées de manière factuelle. De même, la privation de substance de cette obligation s’apprécie selon le contrat litigieux.

A titre d’illustration et sans que cette liste ne soit exhaustive, cet article du Code civil peut s’appliquer au contrat de vente, au contrat d’entreprise, au contrat d’assurance ou encore au contrat de travail. Une appréciation au cas par cas des contrats est donc nécessaire pour l’articulation de ce régime.

En outre, le caractère déséquilibrant de la clause peut être atténué par son champ d’application ou encore par l’existence d’une contrepartie justificative.

L'Actualité

Chambre Sociale, 23 sept. 2020, Pourvoi n°18-20.869 : La Chambre sociale rappelle dans cette décision que l’obligation essentielle de l’employeur dans un contrat de travail est de verser la rémunération pour le travail accompli.

Cour d’appel d’Aix-en-Provence – Chambre 1-3, 16 juin 2022, n° 21/16427 : En matière de contrats d’assurance, « la clause doit délimiter de façon particulièrement nette le champ dans lequel la garantie n’est pas due. Elle doit être limitée c’est-à-dire qu’elle ne doit pas vider la garantie de sa substance, solution consacrée en droit commun par l’article 1170 du code civil ».

B. LE CAS SPÉCIFIQUE DES CONTRATS D’ADHÉSION

Le mécanisme prévu par l’article 1171 du Code civil nécessite trois conditions pour être mis en œuvre.

La clause doit être stipulée dans un contrat d’adhésion. Ce contrat s’oppose au contrat négocié de gré à gré. Il est défini par l’article 1110 du Code civil comme « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ».

Pour être qualifiée de déséquilibrante, la clause doit être non-négociable lors de la conclusion du contrat.

Une nouvelle fois, la condition de déséquilibre significatif est requise pour sanctionner la clause qui en est la source.

Aux termes de l’article 1184 du Code civil, le contrat est maintenu lorsque la loi répute la clause non-écrite. Si les trois conditions sont réunies, la clause sera retirée du contrat.

REMARQUE : il est important de comprendre que le mécanisme du réputé non-écrit peut s’avérer dangereux. La sanction n’est pas l’anéantissement complet du contrat. Une clause dont la rédaction est trop large, comprenant d’autres éléments importants qui ne seraient pourtant pas déséquilibrants, sera écartée dans sa totalité. La sanction ne prévoit pas un remplacement de la clause par une autre mais la répute non-écrite dans sa totalité.

L'Actualité

Chambre commerciale, 26 janvier 2022, Pourvoi n° 20-16.782 : La chambre commerciale de la Cour de cassation précise dans une décision importante l’articulation des régimes prévues aux article 1171 du Code civil et L. 442-1, I, 2° du Code de commerce. L’arrêt prévoit que « l’article 1171 du code civil, interprété à la lumière des travaux parlementaires de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, s’applique aux contrats, même conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers, lorsqu’ils ne relèvent pas de l’article L. 442-6, I, 2° (actuellement L. 442-1, I, 2°) du Code de commerce ».

De plus, la Cour ajoute que les contrats de location financière conclus par les établissements de crédit et sociétés de financement, pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes, ne sont pas soumis aux textes du Code de commerce et donc, à l’article 1171 du Code civil.

Enfin, la décision rappelle de manière méthodique que pour « un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ; l’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».

Elève avocat

Par son expérience et par son expertise, le Cabinet MATHIEU DABOT & ASSOCIÉS propose un accompagnement juridique précis tant dans la rédaction des contrats que dans les contentieux que ceux-ci pourraient engendrer. 

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